Texte de Marie-Catherine Sudret Guide du patrimoine et médiatrice culturelle
Présence de puits dans certaines églises romanes.
Le temple, depuis l’aube de l’humanité, est destiné à recevoir la théophanie. Seuls des individus « choisis » Pythie, Chaman, Chef.fe de village, Prêtre, etc peuvent la recevoir. Afin que la connexion avec les mondes invisibles du ou des Dieux soit la plus efficace, le temple sera construit selon des principes intégrants les connaissances de ces univers subtils, favorisée par la représentation des éléments naturels (eau, air, feu, arbre, etc.). L’église romane est issue de ces principes et connaissances 1 . Ainsi le choix d’implantation et l’architecture ne sont pas le fait du hasard 2. Voici quelques exemples : l’orientation, l’emplacement et le nombre limité d’ouvertures, la voûte en cul de four, l’arc triomphal, etc. et la construction de l’édifice sur une ou plusieurs veines d’eau.
Aux origines, le sanctuaire (ou le lieu de théophanie) n’est accessible qu’aux personnes « initiées » à la compréhension de l’invisible, du langage du ou des Dieux, . Autrefois le chœur de l’église romane était protégé des laïques par un jubé ou une clôture. Les anciennes traditions établissaient des rituels aujourd’hui perpétués, dont on a souvent oublié l’origine. Le premier rite est la toilette. L’ablution est un symbole de purification intérieure, conservée dans certaines religions telles que l’Islam ou l’Indouisme. Ce rite initial se retrouve dans le symbole du baptême. Les premiers baptistères, des fosses creusées dans le sol du lieu, étaient alimentés en eau par une source, le baptisé s’immergeait complètement. Les baptistères, en tant que lieu, ont disparu, la cuve baptismale a fait son « entrée » dans l’église, et fut nommée « les fonts » (fontaines) .3
Le laïque baptisé, entrant dans l’église, a à sa disposition le bénitier pourvue de l’eau lustrale (bénite) destinée au rite de purification. Les bénitiers étaient à l’origine à l’extérieur de l’église, près de l’entrée.
Au Moyen Âge, la toilette rituelle des pèlerins chrétiens étaient pratiquée avant l’entrée dans une ville sainte, notamment à Saint-Jacques de Compostelle, dont le lieu du bain a pris le nom du rituel « Lavacolla » (du français lave couille) 4. Proche des premiers temples chrétiens une fontaine était destinée à cet usage [celui de la toilette rituelle], à Tyr, au Vatican, à Notre-Dame de Paris, etc. Par la suite, les prêtres 5 procédant aux lavements des mains avant la messe (en récitant une prière rituelle), avaient autrefois le « lavabo » à disposition dans le chœur, ces niches parfois encore visibles dans certaines églises romanes.
L’eau est importante dans les cultes, elle a la faculté de purification. Dans la religion chrétienne elle est un symbole puissant de Dieu en tant que « source de vie »6 Pour rappel, la première représentation de Jésus fut un poisson 7
La présence de l’eau est indissociable de l’église, elle justifie la présence de puits dans les temples des XIe et début XIIe siècles. Mais pourquoi toutes les églises romanes ne sont pas pourvues d’un puits ? Me direz-vous ! Je vous répondrai, avec plaisir et surtout avec logique, car toutes les églises ne sont pas construites sur des sources ou veines d’eau pouvant alimenter un puits.
Si, aujourd’hui, l’eau de ces puits dans les églises sont généralement associée à des bénéfices curatifs, ce n’est pas toujours le cas. Par exemple en l’église abbatiale Saint-Ferme (33), le chœur est bâti sur une « piscine » servant de pourrissoir. L’usage de ce type de rite funéraire commence au XIIIe siècle, donc postérieur à la création de l’église. Il existe également des puits sans source (à ce jour en tout cas), par exemple dans le narthex de l’abbatiale Notre-Dame de La Sauve Majeure (33), qui est alimenté par ruissellement des eaux de pluie.
L’eau des puits dans les églises a-t-elle un usage laïc ? Bien sûr vous répondrai-je. ! Aujourd’hui, il est évidemment pour nous d’ouvrir un robinet lorsque nous avons besoin d’eau. Autrefois, il était nécessaire de puiser l’eau au puits, à la rivière, dans la source, etc. Donc pour le nettoyage de l’église, l’eau était puisée directement dans son puits. Il n’y a ici rien d’impie, les Anciens faisaient la distinction entre l’usage de l’eau dans le cérémoniel ou la curation (car le rite intervient à la préparation de l’eau) et l’activité quotidienne, l’exemple des fontaines guérisseuses alimentant un lavoir ou un abreuvoir est courant. Ainsi, durant les périodes de guerres, les paroissiens venaient se réfugier dans les églises, bien évidemment, l’eau du puits était utilisée pour l’usage quotidien. En temps de paix, les paroissiens s’alimentaient à leur puits ou source profane. Il est nécessaire de se rappeler que l’église est construite par des maçons et autres artisan.es vivants sur place au sein d’un village. Précédemment à l’installation du village, l’eau (pour l’usage quotidien) est recherchée en priorité, augurant ainsi l’abondance avec l’aménagement de fontaines, de puits, d’habitations et d’ateliers. Par conséquent, au moment de la construction de l’église, son puits n’est pas destiné à abreuver les paroissiens au quotidien.
1 Tu bâtis cette maison[le temple de Salomon] ! Si tu marches selon mes lois, si tu pratiques mes ordonnances, si tu observes et suis tous mes commandements, j'accomplirai à ton égard la promesse que j'ai faite à David, ton père. 1 Rois, 6, 12.
2 Jacques Bonvin et Paul Trilloux, Église romane, lieu d’énergie, éditions Dervy 1990
3 Jean Hani, Le symbolisme du Temple Chrétien, éditions Véga, 2005
4 Barret et Gurgand, Priez pour nous à Compostelle, éditions Hachette
5 Dominique Lacroix, L’eau dans liturgie chrétienne, en ligne : https://liturgie.catholique.fr/service- autel/fonctions-service-de-autel/3914-eau-liturgie-aspersion/ consulté le 10/12/2020
6 Jérémie, 2, 13 ; Zacharie, 14, 8 ; Jean 4, 10 ; etc.
7 Jean Daniélou, Les symboles chrétiens primitifs, éditions Seuil/Points, coll. Sagesses, 1961