En face de l'église
Au XIIIème siècle il y existait une léproserie
Extrait des Dossiers Historiques et Archéologiques, 4ème trimestre 1974, p. 37-38.
Les Amis du Passé, des sites et de la Culture, Berck-sur-Mer. Texte remis au format texte et en page par Daniel PITON pour le site internet
C'était au siècle des rois Clotaire et Dagobert, au temps de Grimoald maire du palais. Des successeurs amollis se disputaient avec hargne un royaume découpé jadis en pleine Gaule romaine par la francisque du fier Clovis. L'époque était farouche et le siècle bien sombre. Dans les campagnes de Neustrie et d'Austrasie, le menu peuple adorait encore les sources, les arbres et les roches. Année après année, des moines venus d'Irlande ou d'Armorique avaient tenté de raviver chez les Franks la foi du Christ. Missionnaires ardents, ils se nommaient Fursy, Mauguile, Ultan, et plus tard Judoc. Deux d'entre eux, Caïdoc et Fricor, prêchant en Pontivum (ou Ponthieu) convertirent au début du VIIe siècle Rikier, homme de race franke habitant Centule, l'actuelle localité de St-Riquier. Le néophyte se révéla bientôt ardent propagateur du christianisme. Son zèle charitable le conduisait souvent on Angleterre, où il rachetait d'infortunés captifs. Au retour, il faisait toujours étape dans un grand domaine de Sorrus. Dame Sigetrude, propriétaire des lieux, accueillait volontiers le saint homme et ses protégés. Un soir d'hiver, Rikier menant une troupe nombreuse d'anciens captifs demanda donc l'hospitalité chez Sigetrude. Mais cette fois la dame, mal disposée à l'égard du pieux Rikier à la suite de diverses calomnies, refusa tout net l'accès de sa demeure. La nuit venait, la bise âpre soufflait. Faute d'un meilleur abri, Rikier et ses compagnons se réfugièrent dans une dépression ( «in fossato'') et s'y blottirent. La neige se mit à tomber avec abondance, recouvrant toute la contrée. Au matin, quelques habitants de Sorrus sortirent à la recherche d'un passage moins enneigé pour leurs troupeaux. Ils s'aperçurent, avec un. étonnement émerveillé, que la dépression abritant Rikier et sa troupe demeurait seule libre de neige. Instruite du prodige, Dame Sigetrude y vit une céleste intervention en faveur du saint homme qu'elle avait indignement laissé exposé aux intempéries. Pleine d'un pieux repentir, Sigetrude décida de réparer son mauvais accueil de la veille par la donation perpétuelle de son domaine de Sorrus a Rikier. Selon une tradition ancienne, la neige, depuis lors, fond à peine tombée dans la « fosse de Saint-Riquier » à Sorrus (1). Il semble toutefois que certaines observations affaiblissent cette antique tradition.Ce « miracle de la neige » figure dans la « Chronique de St-Riquier » d'Hariulf-liber I, au caput XI intitulé « De adventu ejus in Sigetrudem et miraculo nivis ».
Quelque temps après ,il se révéla que le domaine offert par Sigetrude manquait d'eau. Averti, le futur Saint Riquier alla sur les lieux et enfonça en terre son bâton (« in terram baculum fixit »). Aussitôt, on vit jaillir une fontaine qui, « jusqu'à ce jour ne s'est jamais tarie ». A cette source, dite « fontaine Saint Riquier », s'attache une réputation tenace de vertus curatives miraculeuses. Muré par les troupes allemandes, en 1940-1944, le vénérable point d'eau existe encore, en face de léglise de Sorrus, sous l'aspect d'une banale borne peinte en rouge. Hariulf rapporte ce « miracle de la fontaine » au livre I, caput XII intitulé « De fonte per orationem ejus inibi producto ».
Le « miracle du hêtre » date du IXe sièle . Lorsqu'il s'arrêtait à Sorrus, Saint Riquier aimait prier à l'abri d'un hêtre, dans le bois dépendant du domaine de Sigetrude. Devenue possession de l'abbaye de Centule, la propriété fournissait aux moines des chaussures et des vêtements ,entre autres productions. Vers 814, un abbé Héric confia l'exploitation de Sorrus à un vassal nommé Heuton, homme cupide et de peu de foi. Une pieuse vénération entourait toujours le hêtre de Saint Riquier. Heuton ne vit, dans cet arbre devenu gigantesque au fil des ans, qu'un profitable cubage de bois. Il ordonna de l'abattre. Indignés, les serfs du domaine refusèrent d'abord, mais durent céder à la volonté de leur maîttre. Ils abattirent l'arbre et coupèrent les branches .Ce faisant , ils découvrirent sous l'écorce des cheveux et des poils de barbe qu'ils attribuèrent à Saint Riquier. Heuton, ricanant, fit jeter ces reliques au vent. « La partie inférieure du tronc résistant à la poussée des coins enfoncés à coup de maillet, elle fut chargée sur un chariot et conduite à la résidence de Heuton qui partit bientôt à la chasse au lièvre : mais, atteint soudain d'un mal indéfinissable, il fut obligé de revenir chez lui. Un des serfs réussit alors à fendre le tronc où l'on trouva une croix en relief d'un côté et en intaille de l'autre. Les serviteurs épouvantés portèrent les deux fragments dans le magasin où leur maître conservait ses trésors sous clé. Le lendemain, le gardien qui y avait couché ne retrouva plus le tronc merveilleux et l'on ne sut jamais comment il avait disparu. Quant à Heuton, il mourut cinq jours après ».
Le récit de ce « miracle du hêtre » figure, dans sa forme initiale, aux « Miracula S. Richarrii » composés en 864 par Micon, un moine de Saint-Riquier, ou par son confrère Odulfus. Le même ouvrage rapporte le « miracle du tilleul ». Sous l'abbatiat d'Elizachar (822-837), un tilleul de belle venue ombrageait le domaine de Sorrus, devenu bien de l'abbaye de St-Riquier. Une furieuse tempête avait fendu en quatre et renversé l'arbre. On prépara le soir coins et maillets afin de débiter le tilleul dès le point du jour. Le lendemain matin, les ouvriers chargés du travail découvrirent avec stupeur l'arbre redressé ,bien enraciné ; son tronc ressoudé portait seulement des cicatrices longitudinales. Elles persisteront longtemps, attestant le miracle. Pour terminer, ajoutons qu'une tradition locale assure que, dans certaines écuries de Sorrus aux alentours du « Château Bleu », tout cheval, au-delà du septième, mis avec les autres devait mourir dans l'année .Cette « malédiction du huitième cheval » était, semble-t-il, imputée à Saint Riquier irrité par le manqua d'hospitalité da Dame Sigetrude. Les tracteurs agricoles ont mis fin à cette appréhension... Les arbres, le bois semblent indissolublement liés à la personnalité de Saint Riquier. Son cercueil fut un tronc évidé par son disciple Sigobard... Sa mort survint au plus profond de la forêt de Crécy…
La vérité historique, sous-jacente aux légendes, transparaît dans les citations suivantes, empruntées à l'abbé Bouthors auteur d'une « Histoire de st Riquier » : « On se réunissait toujours autour des fontaines sacrées et des arbres hantés pour prier et pour adorer... chacun, de son côté, s'ingénia à traquer l'idolâtrie dans ses derniers repaires, et St Riquier ne fut ni le moins ardent ni le moins habile... il portait les reliques des saints aux arbres hantés pour y légitimer un culte, bénissait les fontaines pour y faire abonder la grâce avec les guérisons... ».On retiendra les expressions « ardent » & « habile ». Les vieux cultes durent persister longtemps à Sorrus. Paul Billaudaz. ( 1 ) - En bordure d'un pré appartenant à M.& Mme Pierre Trollé et contigu à la ferme « du Coulombier » de M. & Mme Debuiche.